Pourquoi initier ETERNESIA ?

Nous pressentons tous aujourd’hui que les données numériques sont une des créations humaines les plus durables qui aient jamais vu le jour. Nous savons qu’elles restent inaltérées en les sauvegardant et en les dupliquant pour s’affranchir de l’obsolescence des supports qui les contiennent. Pour peu que ces tâches soient assurées régulièrement, elles peuvent être conservées et consultées indéfiniment. Si ces données sont une photographie de vous, le son de votre voix, le récit de moments de votre existence, alors ces traces de votre vie sont susceptibles d’être préservées tant qu’il restera des êtres humains. En d’autres termes, pour la première fois de l’histoire, nous avons les outils permettant de garder la mémoire de chaque être humain, pour les générations à venir, sans limite de durée, presque éternellement. C’est d’abord de cette constatation que le projet ETERNESIA est issu. Certes, tout ce qui est techniquement possible ne doit pas forcément être mis en œuvre, mais nous sommes convaincus que la finalité de ce projet peut apporter beaucoup à la majorité d’entre nous. L’habitude de raconter des pans de nos vies sur les réseaux sociaux est déjà bien ancrée et ce que nous proposons ici est une autre étape dans la constitution de nos vies numériques.

Il y a d’abord notre être matériel, façonné par une combinaison génétique qui n’a quasiment aucune chance de s’être produite auparavant ni de se reproduire après nous. Il y a ensuite, tout aussi unique, notre histoire familiale, notre culture et l’enchainement de circonstances qui a conduit à notre naissance. Enfin, il y a notre vie elle-même, cette suite d’actes, d’expériences, d’apprentissages, de sensations, de sentiments, de liens et de lieux, à nulle autre pareille. Les métaux précieux le sont parce qu’ils sont rares, mais que penser alors d’une existence qui, par nature, n’a jamais eu et n’aura jamais d’équivalent ? Simplement qu’elle est plus que précieuse, qu’elle est inestimable, qu’il n’existe pas d’échelle pour en mesurer la valeur, car elle est tout un monde à elle seule. Alors, en préserver l’essence, en en conservant éternellement la mémoire, est lui construire l’écrin qui lui est dû. Bien sûr, certaines vies ont des parts d’ombres ou de ténèbres, selon la morale et les lois de l’époque, mais il n’en demeure pas moins qu’elles aussi sont infiniment plus rare que la substance la plus précieuse.

Nous avons tous vu ces traces rupestres de mains sur les parois des grottes préhistoriques. Il a été dit que les motivations de nos lointains ancêtres étaient l’art, un sentiment mystique ou l’appartenance à un groupe. Ainsi, bien avant même d’avoir commencé à construire des civilisations ou à forger nos religions, nous laissions un témoignage de notre présence. Nous n’avons jamais cessé de le faire, sans forcément toujours nous en rendre compte. Si nous désirons des enfants, ce n’est plus depuis bien longtemps pour perpétuer l’espèce, mais parce qu’ils sont la plus noble empreinte que nous puissions déposer. Si nous cherchons à exercer du mieux possible nos fonctions professionnelles, ce n’est pas seulement pour l’argent, mais aussi pour que les réalisations qui en découlent persistent après nous. Si l’artiste ne peut s’empêcher de créer tout une vie, sans parfois en retirer de quoi vivre décemment, n’est-ce pas parce que ce besoin de laisser une marque est beaucoup plus fort que toutes les considérations rationnelles ou matérielles ? Et si l’on prend la peine de réfléchir à ces traces, on réalise qu’elles sont une manière d’élaborer une mémoire de notre existence. ETERNESIA, c’est donc aussi construire ensemble la caverne numérique dans laquelle nous pourrons apposer les empreintes de nos vies.

Nous sommes tous, à divers moments de nos existences, confrontés au deuil et à la douleur de perdre ceux que l’on aime. Malgré tous nos efforts, malgré le réconfort de nos proches, nous restons à jamais marqués, parfois inconsolables. Le deuil est un processus complexe qui demande, entre autres, un oubli progressif des disparus pour que nos vies ne soient pas hantées par ceux qui ne sont plus. Mais les oublier, c’est aussi les faire mourir une seconde fois, les trahir. Ainsi sommes-nous tiraillés entre la nécessité de continuer nos vies et la preuve de loyauté envers les défunts qu’est leur souvenir. Si, quelquefois, nous gardons dans une boite des objets anodins ou des photographies de nos parents, grands-parents, sans jamais les regarder ni les toucher, c’est pour pouvoir poursuivre notre chemin, tout en sachant qu’ils seront toujours un peu présents grâce à ce que nous avons préservé d’eux. En donnant la possibilité à chacun de construire une mémoire numérique de sa vie qui restera intègre jusqu’à la fin des temps humains, ou en permettant d’en constituer une pour une personne disparue, le projet ETERNESIA est à même d’adoucir la douleur du deuil. Ce qui sera conservé de chacun sera comme ces boites à souvenirs qui nous consolent de la perte : peut-être jamais regardé ou consulté, mais éternellement présent et c’est déjà beaucoup.

Nos origines, nos racines, sont aujourd’hui d’un contour incertain pour la plupart d’entre nous. Même lorsque nous connaissons les noms et les dates de naissance de nos ancêtres, ils nous sont presqu’inconnus. Ce que nous savons d’eux est trop succinct pour que nous puissions nous faire une idée, même incomplète, de ce qu’ils furent. Excepté pour de très rares familles, les arbres généalogiques sont en général une suite de branches ou de feuilles presque anonymes, tant l’ignorance des vies qu’ont menées nos aïeux est grande. Le projet ETERNESIA est en mesure de bouleverser l’art de la généalogie pour les générations à venir. Ces mémoires et leur quasi éternité créeront un lien avec nos descendants plus étroit, moins abstrait,  car ils auront une perception plus concrète de ce que nous avons été, de ce que nous avons ressenti et de ce que nous leur laissons en héritage.

Nous construisons notre vie avec plus ou moins de bonheur et, pour la plupart, nous cherchons à lui donner une justification, d’une manière ou d’une autre. De cette quête du sens et des écueils que nous croisons sur notre chemin, il ne reste parfois rien lorsque nous n’aboutissons pas à ce que nous espérions.  Même lorsque notre vie a répondu à ce que nous en attendions, nous savons qu’après notre disparition, le souvenir de ce que nous avons construit s’estompera jusqu’à l’oubli. Dans ces deux cas de figure, il y a une même insatisfaction qui prend sa source dans la brièveté de l’existence et l’effacement progressif de son souvenir. Alors, donner la possibilité à chacun de consigner des parts essentielles de sa vie et en assurer la conservation à travers les âges à venir, c’est apporter une nouvelle pierre à l’édification de nos existences pour les consolider et les parfaire.